Ce vieux rêve qui bouge torrent?
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En lieu et place d’un film déjà tourné mais bloqué par le Covid-19, Alain Guiraudie a publié l’été dernier un roman-fleuve, où figurent nombre des éléments de Viens je t’emmène.Récit échevelé dévalant d’une seule traite ses 1.100 pages, Rabalaïre, sans doute ce qui s’est publié de plus important en langue française en 2021 (mais ce devait être un peu trop volumineux, un peu trop cru, un peu trop charnel, un peu trop plein de choses pour les jurys des prix littéraires) comportait aussi bien des éléments renvoyant à cette comédie radicale, tendre et tempétueuse qu’est Le Roi de l’évasion, film absurdement passé quasi inaperçu à sa sortie.Avec Viens je t’emmène, Guiraudie assemble de nouveau le désir physique et les réflexes quotidiens d’égoïsme, les grandes peurs de l’époque et l’affection qui peut surgir entre des personnes dont rien ne laissait prévoir qu’elles se rencontrent.
Le palier, ultime espace de délibération collective –pas forcément pour le meilleur. | Les Films du LosangeDe la statue de Vercingétorix place de Jaude, théâtre d’un attentat, au motif récurrent du coitus interruptus poursuivant le brave –ou pas si brave– Médéric comme une malédiction antique, du drame contemporain au vaudeville, les changements de registre relancent sans arrêt l’élan, et en effet emmènent, emmènent ailleurs.
Frank devrait-il rester sur la plage avec Henri ou accompagner Michel dans les bois ou le lac ? Le film laisse peu de doute sur la conduite qu’il aurait fallu tenir, tout comme il ne fait pas mystère pour le spectateur que Michel est un personnage inquiétant autant que séduisant.
Un policier viendra enquêter, poser des questions, mais, puisque nous connaissons le coupable, il s’agit moins de chercher son identité, ou même la preuve qu’il y a eu meurtre, que de chercher de quoi le meurtre est la preuve.
Plutôt drame existentiel que récit policier : la recherche de la vérité du crime menée par le commissaire est pour le spectateur celle de la vérité du lieu de drague dont Frank fait l’expérience.
Cette vérité, qui n’est pas belle à dire, est, loin de la vision fantasmée d’une communauté homosexuelle basée sur le partage et l’égalité, celle de l’individualisme qui court après son plaisir, utilise son partenaire et l’abandonne une fois la jouissance passée, celle d’un manque d’attention et d’attachement à l’autre.
S’il y a une morale, ce n’est pas celle qui repousse le sexe comme le lieu du danger et de la corruption, mais celle qui discute du degré de dissociation possible entre le sexe et les sentiments, échange corporel et oral.
En orientant son film vers cette morale des sentiments, Guiraudie donne l’image d’une communauté divisée et produit un autre partage que celui qu’on pourrait confortablement attendre dans un film consacré à un lieu de drague homosexuelle.
Avec cet indice négatif, la lumière est déviée dans une direction contraire à la normale. Les métamatériaux doivent courber la lumière autour de l’objet, de façon à le contourner et à se reformer derrière à l’identique, comme le fil de l’eau d’un torrent se reforme après avoir rencontré un rocher. L’observateur ne voit plus de perturbation de la lumière et l’objet disparait alors à ses yeux.
Si une des applications les plus immédiates de ces métamatériaux pourrait être la construction de lentilles spéciales permettant de voir jusqu’à des virus ou des molécules d’ADN, celle qui fait le plus rêver a rapport aux fantasmes d’invisibilité des auteurs H.G. Wells dans L’homme invisible ou J.K.
Le silence lourd de la surdité m’envahit et la disponibilité au rêve qui se montrait une sorte d’accompagnement15. Aucune voix, aucun bruit extérieur n’arrivait plus jusqu’à moi. Pas plus le fracas des chutes que le cri du grillon. De cela, je demeurais sûr. Pourtant, j’entendais en moi le torrent exister, notre maison aussi et tout le domaine.
(p. 29) 32Suit une longue page dans laquelle se murmure la métamorphose de la mère dans la Nature, ou l’inverse. Au bout du compte, François est prisonnier, comme immergé dans un corps maternaturel (si l’on me passe ce mot-valise qui a déjà dû être inventé dix fois).
Examinons ce dont il nous parle, la maison « longue » (comme la mère), le « sol austère » (idem), les monts « sauvages », et par-dessus tout les eaux, de nouveau, se résumant dans le torrent :
Au cours d’une promenade, il tombe sur un curieux coin de montagne, le col de l’Homme mort, habité par de curieux personnages dont l’un lui fait boire un curieux breuvage aux vertus aphrodisiaques les fans se souviendront aussitôt de la bien-nommée «dourougne » dans le film« Le Roi de l’évasion » , dontJacques n’aura de cesse de découvrir le secretde fabrication.
Et puis il rumine, il ressasse des pensées sur la vie, la mort, la différence entre l’amour et le sexe, l’attentat auquel il a échappé d’un cheveu et s’il faut vraiment travailler pour être heureux : son petit vélo dans la tête tourne à plein régime, et, dès qu’on a pris le rythme, impossible de descendre en route.
En 2001 déjà, quand il présentaità Cannes« Ce vieux rêve qui bouge » (que Godard qualifiait de meilleur film du festival), Alain Guiraudie annonçait le film « Rabalaïre » : c’est maintenant ce pavé de 1040 pages, un Tourmalet de la lecture, plein de stupre, de nature, de drôlerie et d’angoisse, incroyable page-turner des Alpages où la mort et l’amour jouent contre la montre.Marguerite Baux, Elle, 20 août 2021À bicyclette…Jacques est depuis quelque temps au chômage.
Il prend son temps pour retrouver un emploi et profite de cette vacuité pour s’adonner aux joies du cyclotourisme. Et tandis qu’il arpente les routes d’une France rurale de plus en plus abandonnée et confrontée à la paupérisation, il enchaînera des rencontres insolites voire improbables.