Comment raconter le temps des rêves aborigènes?
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Pour les peuples aborigènes de l’Australe, le passé et le présent se confondent, se contractent, existent simultanément. Un monde que nous disons passé existe dans l’interstice de ce que nous croyons être du vide. Dans cet espace il y a de l’énergie native et de la connaissance pour qui n’est pas « stérilisé » par l’esprit scientiste / cartésien. C’est ce qu’ils appellent le Rêve.
Une femme que je souhaitais photographier m’a dit un jour « Tu me vois assise sur un rocher mais moi je suis assise sur le corps de mon ancêtre, cette terre c’est mon ancêtre et c’est moi aussi ».
Pistes du Rêve et marécages.
C’est l’une des raisons pour lesquelles la notion de « Temps du Rêve » est relativement compliquée à saisir pour un occidental. Alors que nous considérons le temps comme linéaire (on parle de passé, de présent puis de futur), le temps pour les Aborigènes est un : ils peuvent se reconnecter avec ces esprits, communiquer avec eux, et permettre au monde de subsister. Comment ?
En se rendant dans un lieu sacré, à travers la peinture et les chants, les Aborigènes décrivent l’histoire et les itinéraires empruntés par leurs ancêtres. C’est un moment de connexion avec ces derniers et de transmission du savoir. Ainsi, lorsqu’un Aborigène naît quelque part, il va être sur le lieu de passage d’un ou de plusieurs ancêtres.
Il va alors raconter comment tel ancêtre a créé un trou d’eau par exemple ou encore les dunes de sable; comment cet univers a été créé et recréé. En peignant ou lors des cérémonies, un Aborigène réactualise donc l’acte initial de son ancêtre pour créer le territoire ; ce faisant, il lui permet de continuer à vivre, le temps sacré nourrissant le présent.
Les Aborigènes s’en servent tout « Ainsi, les Noongar de la région de Perth croient que l’escarpement rocheux « Darling Scarp » est le corps d’un Wagyl, un être ophidien gigantesque du temps du Rêve, qui en serpentant dans le paysage a créé lacs et rivières. » Wagyl Cet ophidien géant évoque d’autres géants, les dinosaures. Des légendes et des gravures disent que l’homme les aurait connus. Et de curieux artefacts fossilisés semblent accréditer cette hypothèse.
Autre confirmation : à l’autre bout de la terre, les Yanomanis utilisent une drogue rituelle pour accéder au Temps du Rêve. C’est l’ayahuasca, connue dans toute l’Amérique latine. Dans les visions provoquées par l’ayahuasca, les images de dinosaures sont souvent présentes. « La plupart des tribus aborigènes croient que toutes les formes de vies, plantes, animaux et humains, font partie d’un vaste et complexe ensemble d’interactions. Son origine remonte aux grands esprits des ancêtres de l’époque du Rêve.
» Mais pas seulement. Le temps du Rêve, pour l’aborigène, n’est pas un monde clos et achevé. Il est en train de se faire, ici et maintenant. Mais les grandes lignes en sont tracées depuis l’origine. Le temps du Rêve est une autre façon d’être au monde. Dans cet autre monde qui est partout. Le temps du rêve peut se comprendre à partir des écrits de Castaneda sur cette façon particulière « d’être au monde ».
Il s’apparente au passé par le fait qu’il préexiste à tout (Eliade 1972, 56) ; cependant, il est infiniment réactualisé dans les voyages virtuels que les Aborigènes effectuent en rêve ou dans certains rituels (Glowczewski 33). Par ailleurs, les traditions aborigènes ignorent la notion d’Histoire. Tout événement décisif passé est décrit comme s’étant produit dans le Temps du rêve.
Ainsi, des personnages historiques comme James Cook (Australian Aboriginal Mythology) ou John Wayne (Glowczewski 301) ont pu être intégrés au Temps du rêve, l’un en tant qu’archétype de l’ennemi européen, l’autre comme défenseur des peuples indigènes. Le Temps du rêve apparaît donc comme un temps parallèle, où tout existe déjà de manière potentielle (Glowczewski 302), dont les événements du monde physique ne sont que la manifestation.
Leur influence est pourtant destinée à être niée au profit d’une justification par le mythe : ces individus n’ont rien inventé, ils n’ont fait que reproduire un motif déjà présent dans le Temps du rêve et « oublié » par l’humanité (Glowczewski 34). 4C’est ce concept d’un temps parallèle, fondateur mais toujours en mouvement, hermétique au commun des mortels mais auquel quelques initiés peuvent accéder, qui nous permettra d’éclairer la structure du mythe lovecraftien.
Ce monde du Rêve se construit au fil des nouvelles (« Celephais », « Polaris », « The Cats of Ulthar »…), et culmine dans « The Dream-Quest of Unknown Kadath », où un voyageur, Randolph Carter, parcourt les lieux qui ont été décrits dans les nouvelles antérieures les uns après les autres.
Déjà, dites-vous bien que, comme pour les Amérindiens, il serait erroné de penser que tous les Aborigènes partagent un univers mental commun. Les mythes, les légendes, les récits (qui n’en sont d’ailleurs pas pour les individus concernés) sont propres à chaque tribu, même s’il peut y avoir des points de convergence. D’autre part, même s’ils ont fourni des témoignages intéressants, certains chercheurs ont participé à la propagation de mauvaises traductions ou d’interprétations fantaisistes.
En fait, il serait préférable d’utiliser les mots employés par les tribus aborigènes elles-mêmes, comme Altjira (chez les Arrernte, vivant au centre du pays), Ngarrankarni (pour les Gija, résidant au nord-ouest), Ungud (selon les Ngarinyin, occupant le nord-ouest eux aussi), … C’est peut-être une solution de facilité mais, parfois, ne pas traduire évite l’écueil de l’erreur – si la citation vous a plu, n’oubliez pas le copyright Pour approcher le mythe ancestral aborigène, il faut d’abord comprendre que le terme de « temps » n’a pas d’équivalence dans les langues aborigènes.
On lit parfois que le « Temps du Rêve » devrait être remplacé par le seul mot « Rêve ». Sauf que… dans notre imaginaire, ce mot peut amener à de fausses représentations. En fait, ce que l’on désigne par « Temps du Rêve », c’est tout simplement l’environnement dans et avec lequel les hommes et les femmes évoluent. Passer du « Rêve » à la « Réalité », c’est créer.
Il n’est pas rare de voir des membres d’une tribu se rassembler dans un parc de la ville pour manger ou échanger, toutes générations confondues. Avant la colonisation, les Aborigènes se déplaçaient au sein de larges territoires. Ils vivaient de chasse, de cueillette et de pêche en petits groupes. La fréquence de leurs déplacements variait selon les régions en fonction des ressources en eau et en nourriture.
Cette notion regroupe leurs légendes, mais aussi certaines règles qui régissent leurs traditions et leur mode de vie. C’est donc un concept très vaste, puisque cela va des cérémonies rituelles pour leurs ancêtres aux chants en passant par les processus de fabrication de certains objets. Ainsi, selon les croyances des Aborigènes, les rochers, collines et lacs portent l’empreinte des esprits créateurs.
Quelques rares explications sont partagées dans les parcs nationaux ou les réserves et permettent de prendre connaissance d’une partie de ces légendes.