Des rêves anciens qui reviennent en flot en memoire?
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La route des Flandres, Le grand voyage, Des hommes illustres et La compagnie des spectres « tissent et détissent28 » des traces disparates, des fragments de récits, des souvenirs déliés, des manques et des trop-pleins dont ils conservent au moins en partie les ouvertures et les discontinuités. Par les stratégies d’écriture qu’ils développent, Simon, Semprun, Rouaud et Salvayre dépeignent de quelles manières l’acte de remémoration tend à brouiller les événements passés et leurs cadres spatiotemporels.
21Les romanciers de la mémoire autoréflexive élaborent un traitement du temps romanesque capable d’établir des passages immédiats et constants entre le moment de la remémoration et les moments remémorés. Afin de donner à voir la présence du passé, ils brisent la chronologie linéaire du temps de l’histoire pour en refondre à leur façon les fragments dans l’unité d’une mémoire et d’un acte énonciatif.
29 Le moment de l’énonciation pourrait être la nuit d’amour passée avec Corinne, épisode le plus réce (…) 22Dans La route des Flandres, un énonciateur nommé Georges, qui est situé plusieurs années après la guerre29, se perd dans l’entremêlement des espaces-temps — faits et gestes d’un ancêtre du XVIIIe siècle, enfance, départ pour la guerre, défaite sur la « route des Flandres » en 1940, emprisonnement, évasion, faits et gestes de la femme désirée avant la guerre et pendant l’emprisonnement, rencontre de cette femme, nuit d’amour avec elle — devant lequel le place la simultanéité des réminiscences, des fantasmes et des motifs d’interrogation qui le hantent.
Jean-François PERRIN Taine et la mémoire involontaire Les catégories de « mémoire involontaire » et de « mémoire affective » sont couramment utilisées en critique littéraire pour rendre compte de l’expérience du souvenir jailli chez toute une série d’écrivains, de Rousseau jusqu’à Proust ; les définitions qu’on en trouve sont en gros de trois sortes : soit qu’on les rapporte en bloc au paradigme proustien, envisagé comme пес plus ultra en la matière, soit qu’on les réfère sans plus à des exemples canoniques — grive de Montboissier, madeleine proustienne —, soit enfin qu’on renvoie à la psychologie, comme le fait par exemple Georges Poulet, en préliminaire à une étude de la spécificité de la mémoire proustienne : L’on a souvent identifié la mémoire proustienne avec la mémoire affective des psychologues.
Et — psychologiquement pariant — elle est cela sans doute, c’est-à-dire la reviviscence en nous d’un état d’âme oublié.
Se développe une pratique de l’écriture scientifique des rêves, avec des questions comme : comment les noter ? Comme des récits, ou en style télégraphique ? Les transcriptions sont-elles fiables ? C’est là qu’apparaît le projet de faire une science des rêves. »L’un de ses représentants célèbres, Alfred Maury, professeur au Collège de France, publie en 1861 Le Sommeil et les Rêves.
Il mène depuis des années une étude sur lui-même : « Je m’observe tantôt dans mon lit, tantôt dans mon fauteuil, au moment où le sommeil me gagne, et je prie la personne qui est près de moi de m’éveiller (…). Réveillé en sursaut, la mémoire du rêve auquel on m’a soudainement arraché est encore présente à mon esprit. » Alfred Maury poursuit cette « psychologie expérimentale » sur des sujets qu’il réveille à intervalles réguliers.
Quelques décennies plus tard, l’intérêt que lui porte un médecin autrichien, un certain Sigmund Freud, va donner naissance à un livre culte : L’Interprétation du rêve (Die Traumdeutung en version originale). Tout ce qu’on croyait savoir sur le rêve se retrouve à nouveau chamboulé. Du moins, c’est ce qu’espérait Freud.
Terminé en 1899 mais daté de 1900 par l’éditeur afin de profiter symboliquement de l’entrée dans le nouveau siècle, L’Interprétation du rêve est un livre thèse. « J’y apporterai la preuve, annonce Freud dès les premières lignes, qu’il existe une technique psychologique permettant d’interpréter des rêves et qu’avec l’application de ce procédé toute espèce de rêve se révèle être une création psychique chargée de sens.
Dans ce livre de l’infortuné Gérard de Nerval, il y a des rêves, et il les distingue avec beaucoup de soin de la rêverie, qui sont si bien suivis, où les raisonnements, quoique planant dans les espaces infinis, sont d’un tel intérêt, si bien liés, qu’il est impossible d’y constater l’absence d’idées intermédiaires. Aussi répétons-nous que si le rêve, comparé à la folie, peut fournir matière à d’intéressants parallèles, il ne saurait lui être assimilé12.
L’aliéniste invoque une « disposition de l’âme que tout le monde a éprouvée », la rê (…) 14 Voir Brierre, op. cit., p. 507. Les grands hommes sont « les messagers de l’infini ». Ceux qui agi (…) 15 Ibid., p. VI. Brierre se rapporte à un article de Victor Cousin, « La jeunesse de Madame de Longue (…) 11Certes, Brierre ne lit pas le texte nervalien pour lui-même, son approche est préorientée par une démonstration.
Il s’agit pour l’aliéniste de distinguer soigneusement ce qui est pathologique et ce qui ne l’est point, pour mieux exalter la puissance de l’esprit, la dimension spirituelle de la création artistique, quitte à faire l’éloge enthousiaste de la rêverie en se référant à une lettre que Vigny lui aurait envoyée13. Qu’est-ce que rêver éveillé, sinon se donner à soi-même, volontairement, des images en mettant en branle, de manière active, son imagination ?
L’homme des songes, ou, comme il dit encore, « l’homme de toutes les chimères ». I Le goût des rêves II n’est pas, à la vérité, l’homme de toutes les chimères, car il y en a auxquelles il répugne : celles des hallucinations mystiques dont Marcellus dit qu’il parlait avec dédain. La seule présence de chrétien lecteur de Pascal et de dilettante lecteur de Montaigne suffisait à mettre en déroute « l’esprit de ténèbre ou l’esprit divin ».
Et à propos du « nébuleux » qu’il attribue à Mme de Krûdener : « Moi, l’homme de toutes les chimères, j’ai la haine de la déraison ». L’on croirait entendre Barrés parler de son ami Stanilas de Guaita : touché de cette foi en un monde invisible, mais pris d’un insurmontable malaise dans un bric-à- brac de sciences occultes. Chateaubriand, comme Barrés, est l’homme du « mystère en pleine lumière ».
Que sont donc ces rêves en pleine lumière qui respectent la raison et posent sur la terre ferme ?