L’incertitude qui vient des rêves?
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Cette émission est la suite d’un entretien que Roger Caillois accorda à Jeannine Worms en 1970. Dans ce deuxième volet, l’écrivain auteur de L’Incertitude qui vient des rêves en 1956 revient sur ces phénomènes où rêves et réalité parfois se confondent. Ce peut être les rêves qui nous semblent tellement réels qu’on ne sait plus faire la distinction ou parfois la réalité qui elle-même devient douteuse.
Caillois cite ainsi La vie est un songe, pièce de théâtre de Pedro Calderon mais également les méthodes employées par la secte des Assassins pendant le Moyen-Âge islamique où pour créer des tueurs obéissants on droguait des jeunes gens en les emmenant dans des contrées extraordinaires. Pour approcher de nouveau ce paradis leur apparaissant comme un songe, ils deviennent alors capables de donner leur vie.
Le rêve implique donc une incertitude sur notre rapport à la réalité.
L’esprit le mieux défendu et le plus décidé à s’éviter cette sottise, y réussit bien neuf fois de suite, mais se trouve encore assez naïf pour succomber à la dixième. Je crois presque irrésistible pour l’homme la tentation de prêter un sens à tout ce qui, à la fois, se présente comme pouvant en avoir un et qui résiste indéfiniment à le livrer.
La cohérence des rêves me troubla désormais beaucoup plus. Je ne m’explique pas encore comment la cohue d’images qui fait irruption dans la conscience du dormeur, réussit à s’y composer en enchaînements acceptables, en histoires qui se suivent, en aventures ordonnées. Il me semble que les rêves ne devraient comporter que des images folles et anarchiques, sans le moindre lien entre elles.
Or, les miens devenaient de plus en plus rigoureux et, pour ainsi dire, merveilles d’horlogerie, ou plutôt ils savaient m’en donner l’impression. Bientôt, le fait de rêver m’apparut en soi plus digne d’attention que ne l’était le contenu des rêves.
Dans « De l’Incertitude qui vient des rêves », il indique vouloir « tirer au clair ce qui, de droit, appartient à l’obscur [5] » entraîné par un désir raisonnable de « trouver du significatif à l’insignifiant » à travers une question lancinante : « Où est le vraisemblable si la réalité prend des allures labyrinthiques de rêve éveillé ? » L’œuvre semble ainsi mettre le rêve à l’épreuve.
De sorte que les mots de Caillois résonnent encore en images chez Estefanía Peñafiel Loaiza : « Dans un cauchemar, les dangers auxquels le dormeur se voit exposé, les sévices qu’il croit subir, certes, sont imaginaires, mais non pas son angoisse et son épouvante [6] » qui elles sont eux bien réellement éprouvés.
Ce qui lui permet de conclure qu’« il faut consentir que la mémoire n’est pas immanquablement en mesure de distinguer avec certitude le souvenir du rêve et le souvenir de la réalité [7] permettant de poser que la réalité est un rêve imbriqué à son souvenir mis à mal par une mémoire défaillante et des mises à jour perpétuelles : Les souvenirs s’érodent, les détails se pendent au diable, l’horlogerie est en roue libre.
L’incertitude qui nous vient des rêves, est similaire à celle qui provient d’illusions en pagaille, d’illusions en Bataille lorsqu’elles se projettent à nos yeux obscurcis sur la réalité caverneuse. Et pourquoi rêve-t-on ? On rêve, comme abandonné à soi-même pour s’échapper de la fatigue du monde qui nous peuple, par « horreur de l’habitude [8] » ou désobéissance civile face aux règles du réel.