Ce vieux rêve qui bouge critique?
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Ce vieux rêve qui bouge : fin d’usine Posted by Léa Merle on lundi, novembre 16, 2020 · Leave a Comment Dernier pas avant son premier long métrage, Alain Guiraudie tourne Ce vieux rêve qui bouge au tournant des années 2000. Court métrage qui prend l’audace de tirer vers le long, le film trouve une durée atypique.
Près de 50 minutes, en ce moment disponibles en libre accès sur la plateforme d’Arte. Une entrée en matière lente et progressive dans la thématique que nous explorerons au cours de ces prochaines semaines de confinement aux écrans domestiques : la distance. Un avant-goût aussi de l’entretien que nous a accordé Alain Guiraudie pour le deuxième numéro de la revue Zone Critique, consacré à l’aventure.
Cet étranger venu en mission pour achever de tuer une vie séculaire, incarne un principe de réalité drôlement triste. Une jolie gueule de jeune homme, agent malgré lui de la délocalisation. Très vite, il devient le centre des regards. Les ouvriers autochtones, littéralement désœuvrés, viennent le voir travailler dans son coin de hangar.
En filmant les derniers jours d’une usine, le cinéaste met au jour la force du désir qui relie les uns aux autres.
Avant que L’Inconnu du lac ne fasse basculer Alain Guiraudie dans une autre dimension, le point d’accomplissement de son œuvre aura longtemps été Ce vieux rêve qui bouge, un moyen métrage qui créa l’événement à la Quinzaine des réalisateurs en 2001, au point que Godard en personne le déclara “meilleur film du Festival de Cannes”.
https://www.dailymotion.com/video/x8j0jm On comprend pourquoi le film séduisit à ce point le réalisateur franco-suisse, qui présentait cette année-là Eloge de l’amour. La principale qualité du cinéma de Guiraudie, c’est sa densité atmosphérique.
« Ce vieux rêve qui bouge », un film d’Alain Guiraudie (2001) Faire briller les schistes du fond. Montrer à l’écran un monde ouvrier qui pousse encore dans ses ruines et ses plâtras. Voilà le projet de Ce vieux rêve qui bouge, l’exode de l’inessentiel : faire bouger le rêve, en déplaçant les lignes, à partir du décor réaliste d’une usine en voie de disparition.
Jacques le mercenaire, agent malgré lui de la délocalisation, devient très vite le centre de l’attention de tous les autres ouvriers encore présents sur les lieux, ces désœuvrés qui viennent simplement le voir travailler dans son coin de hangar, comme s’il s’agissait d’observer les restes d’un monde dont chacun ne semble plus comprendre ni la logique ni les mécanismes.
Le relai du regard est ainsi inversé, le nouveau venu n’est plus le regardant mais le regardé. Et à travers Jacques, c’est nous, spectateurs, que le monde, ce monde industriel finissant, regarde. L’école du regard Parmi ces ouvriers, qui tous semblent être en exil, très vite se met en place une triade, formée de Jacques, de Louis le cinquantenaire, et de Donand le contremaître.
Louis et les ouvriers regardent ainsi Jacques œuvrer, qui regarde Donand, le contremaître, qui, lui, s’efforce vainement de faire travailler les ouvriers avec Jacques. Entre chacun de ces angles, il y a la distance.
Drame banal, dans le Sud-Ouest sans doute, une usine ferme. Mais personne ne se lamente. Les hommes restent collés à leur lieu de travail, lumineux, vert, vide et morose. Ils boivent des verres, se posent à l’ombre des parasols, discutent foot, amour, argent, vacances… Jacques Roudillon, crevette filiforme, vient démembrer les derniers engins.
Par son physique, surprenant pour ce genre de technicien, par son tempérament, solitaire au premier abord, Jacques ne ressemble en rien à ce groupe de gros bras, à l’accent généreux, solidaires dans leur licenciement. Difficile d’expliciter les secrets, les non-dits, d’un film aussi rusé. On ne peut décidément se résoudre à dévoiler ce que le film de Guiraudie ne dit qu’à demi-mot, évacue hors des images.
Habile double apophasie, Ce vieux rêve qui bouge tourbillonne autour de deux thèmes : aimer, bosser. L’amour qui lutte guide Guiraudie sans lui faire perdre le sens du beau, celui qui ne tombe jamais dans un ridicule propre au communautarisme asphyxiant, au militantisme vain.
Toujours intrigant, le père Guiraudie. Pour cette fois, il quitte la nature et s’enferme dans une usine, pour filmer avec une belle ambition la naissance du désir au sein du monde ouvrier. Dans ce style si indéfinissable, à cheval entre le vide intersidéral et un curieux trouble à la limite du fantastique, il installe tranquillement une atmosphère étrange, fidèle à son écriture icônoclaste.
Le fait que ce film soit profondément ancré dans une réalité sociale très définie, et qu’il se rapproche ainsi souvent du documentaire, ajoute encore au décalage de la chose : Guiraudie impose son regard barjot dans un monde très balisé. Un jeune gars est envoyé dans une usine en fin de vie pour démonter une bizarre machine (la description de la fonction de cette machine vaut son pesant d’écrous).
Un monde à la fois évident, dans une immédiateté physique du plan impressionnante de maîtrise formelle (le grand angle, la profondeur de champ, où chaque élément vibre) et abstrait, car pris dans un ballet subtil où les corps mouvants font se décoller littéralement toute la poésie rebelle, utopique et amoureuse de chacun.
La politique du corps, terme générique de la modernité du cinéma, prend dès lors toute son ampleur avec Guiraudie ; où chaque geste est réinvesti de sa puissance érotique dans le temps, mais aussi la latence du prochain déplacement, de la prochaine parole de ce corps-là, de cet ouvrier sans travail mais à l’usine, mais sans les machines.
Car cet érotique (comment ne pas songer à Renoir cinéaste engagé de cœur et d’esprit dans ce mouvement de vie pour la vie en cinéma) est inséparable d’une conscience de classe. Rappelons-nous du film La Sortie des usines Lumières des frères Lumière en 1895, dans le quartier lyonnais de Mont Plaisir, où justement c’était plaisir de se laisser filmer par cet appareil étrange et moderne.